Tribune de Renaud Ghia, Président de Tixeo
Ces dernières années, le télétravail s’est largement pérennisé dans les entreprises, comme avantage ponctuel ou mode de travail permanent. Les entreprises se sont transformées à une vitesse folle afin de gagner en flexibilité et répondre aux nouvelles attentes des Français, qui sont aujourd’hui 56% à travailler en mode hybride.
Certains acteurs vont même encore plus loin et commencent à parler d’une évolution des modes de travail collaboratif avec le métavers : l’internet de demain où l’on peut se déplacer à l’aide d’un avatar dans un univers intégralement virtualisé. Mais cette innovation, dont certains acteurs envisagent des applications dans les domaines comme la culture, le e-commerce, ou encore la formation, ne serait-elle pas utopique pour le télétravail ?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Le métavers permet d’avoir conscience de l’espace de travail et de s’immerger dans un monde virtuel avec ses collaborateurs, tout en pouvant voir leurs avatars et connaitre leur activité en temps réel. Savoir ce que les autres font à un instant T est d’ailleurs une condition nécessaire à toute solution de collaboration à distance, mais cet avantage n’est pas uniquement possible dans le métavers, d’autres solutions le proposent également et sans contraintes supplémentaires.
En effet, le métavers nécessite d’être équipé d’un casque de réalité virtuelle afin de pouvoir interagir. Un équipement onéreux mais surtout assez pesant pour une journée de travail, qui risque d’être très problématique pour les personnes touchées par la cybercinétose, un mal physique qui se manifeste dans le virtuel comme un mal des transports. Selon un sondage de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) publié en juin 2021, ce phénomène toucherait 30 à 50% des utilisateurs.
De plus, le coup de l’action dans ce monde immersif 3D est beaucoup plus élevé que sur des outils collaboratifs classiques, voire en 2D. Dans le métavers, il est beaucoup plus complexe d’aller chercher un fichier dans un dossier puisqu’il faut se déplacer avec son avatar et aller à l’endroit où se trouve l’objet modélisé. Alors qu’ouvrir une fenêtre d’ordinateur et cliquer sur ce que l’on cherche ne prendrait qu’une seconde. Les petites actions de collaboration à distance deviennent alors de grandes actions qui demandent également beaucoup de mémoire spatiale.
Cette immersion dans le métavers complexifie la collaboration et nuit à son efficacité en ajoutant de nombreuses contraintes. Elle pourrait être envisageable quelques minutes par jour ; mais imaginer une journée voire des semaines entières de collaboration à distance dans ce monde virtuel semble être contre-productif et déconnecté des problématiques sociales que peut générer le télétravail.
Un avatar aux dépens de l’humain
Selon une récente étude de Future Forum, le nombre d’employés se déclarant au bord du Burnout a grimpé de 8% entre le mois de mai et le mois d’août 2022 pour atteindre les 40%. Dans un contexte économique et social très tendu, les entreprises doivent garder le bien-être physique et mental des collaborateurs au centre de leurs préoccupations et tout faire pour éviter qu’ils se sentent isolés et démotivés. Alors peut-on vraiment parler d’humain dans un monde totalement virtualisé, déconnecté de la réalité et dans lequel nous interagissons avec des avatars en 3D ? C’est un leurre que de croire que le métavers permettrait de rompre l’isolement des salariés et ce serait une erreur que d’imaginer renforcer la cohésion d’une équipe sans que ses collaborateurs ne puissent se voir et discuter directement.
Les Français ne semblent d’ailleurs pas prêts à télétravailler dans le métavers. Selon le baromètre des usages multi-écrans 2022, réalisé par l’agence d’études iligo et publié en mai 2022 ; pour 81% des Français interrogés, le métavers s’impose avant tout comme un moyen de se divertir. Alors quelles alternatives au métavers pour un futur du télétravail permettant à la fois innovation, productivité et bien-être du salarié ? Si virtualiser à tout prix nos environnements de travail ne séduit clairement pas les collaborateurs, alors pourquoi ne pas importer le virtuel dans leur réalité professionnelle ? La réalité augmentée et ses nombreux domaines d’application pourraient alors répondre efficacement à ces problématiques.